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Ligne 18 Où en est-on ? Revue de presse

« Arrêtons l’écocide du plateau de Saclay par un métro déficitaire, inutile et dépassé »

Tribune. Membre du collectif Urgence Saclay, Philippe Tellier, s’inquiète de la construction prochaine d’un métro automatique sur ce plateau agricole. Est-il vain d’espérer une prise de position courageuse de nos décideurs ?

Tribune initialement publiée dans La Croix

Quel Français ignore la contrainte journalière du Francilien consacrant 50 % de temps supplémentaire dans les transports ? Comment éviter sur le plateau de Saclay une congestion du trafic alors que s’achève la construction du campus urbain Paris-Saclay lancée en 2000 ? Pour desservir cette « Silicon Valley » à la française bientôt forte de 83 000 usagers de grandes écoles et entreprises, la Société du Grand Paris (SGP) prétend que « seul un métro automatique permettra d’absorber la charge maximale à l’heure de pointe ».

L’emprise de 10 km de cette nouvelle ligne 18 entre Moulon et Versailles, d’abord envisagée en viaduc et souterrain, se ferait, pour cause budgétaire, avec mise au sol sur 5 km taillant 4 000 ha d’espaces naturels et 2 300 ha agricoles à haute valeur agronomique. Depuis le lancement de ce projet, la France s’est engagée lors de la COP 21 à réduire ses émissions de GES de 40% d’ici 2030.

Un projet d’urbanisation massive

Le bilan Carbone de l’ouvrage, coûts d’exploitation et de construction compris, de Jean-Marc Jancovici de Carbone4 est sans appel : « La ligne 18 ne remboursera jamais son carbone de départ, il faut juste l’abandonner ». Face à l’urgence climatique palpable pour deux-tiers des Français, au constat alarmiste du GIEC abaissant à + 1,5° C la limite de réchauffement, il est atterrant d’entendre dire que cette décision sera maintenue, car « promise » par 3 gouvernements successifs.

Car la ligne 18 s’accompagnera d’un projet d’urbanisation massive d’après l’évaluation socio-économique publiée par la SGP elle-même : 70 % du bénéfice attendu anticipe de futures densifications urbaines, rajoutées à l’énorme artificialisation du campus (670 ha dont 400 ha agricoles de 2010 à 2025). Renoncer à ces bénéfices élargis conduirait à un lourd déficit du métro. Ce métro transportant jusqu’à 20 puis 40 000 passagers/h dans chaque sens de circulation est surdimensionné, les études de la DRIEA régionale de juin 2020 intégrant les programmes immobiliers de l’OIN Paris-Saclay jusqu’à 2030, estiment la charge à l’heure de pointe à 4 400 passagers/h, sur le tronçon Massy-Versailles le plus fréquenté.

Des alternatives à bas coût

La ligne 18 n’est donc pas incontournable, des alternatives à bas coût existent : système de rabattement vers les stations RER, par bus en site propre (3 000 passagers/h/sens), ou par téléphérique au départ d’Orsay (4 000 passagers/h).

La ligne 18 est de plus inadaptée aux besoins : organisée en transport de transit (2 gares dans le campus), elle ne dessert pas finement les localités, ce qui poussera à des trajets domicile-travail en voiture et aggravera les bouchons. Avec un site dépourvu de transports de proximité, déconnecté des centres urbains voisins, le Grand Paris express dépensera 13 % de son budget pour transporter 4 % des passagers de son réseau. Insoutenable financièrement, le projet est en plus nocif en qualité de vie et conditions de déplacement des usagers.

Un risque de destruction du patrimoine agricole

La pandémie priorise à nouveau l’autonomie alimentaire territoriale et la COP Biodiversité 2021 réaffirmera l’urgence de la sauvegarde des sols pour leurs fonctions écosystémiques alimentaires et socio-culturelles, garanties de santé humaine. Constatant la perte de 7,7 % de surface agricole française de 1982 à 2018 (2,4 millions ha, enquête Teruti avril 2021), la loi climat veut diviser par 2 l’artificialisation des sols par rapport à la précédente décennie.

En bétonnant ces limons éoliens parmi les plus fertiles d’Europe, la SGP va à l’encontre de l’histoire et entrave à la porte de Paris le développement de circuits courts du Projet Alimentaire Territorial voté par les agglomérations du Plateau. Le paysan, s’il n’est pas exproprié, cerné par les routes, bus, métro, aéroport (Toussus-le-Noble), immeubles, dans le bruit et la pollution, sans successeur pour cultiver un parcellaire mité, même situé en ZPNAF, Zone naturelle protégée au statut juridique théorique et embryonnaire, vendra sa ferme et disparaîtra.

Corbeaux et pigeons des cités interdisent déjà les semis de lentilles, pois, maïs, tournesol, colza. Et quel éleveur emmènera son troupeau pâturer par-delà 40 m de barrière linéaire ? S’entêter à détruire ce patrimoine agricole ne confine-t-il pas à l’irresponsabilité des décideurs ?

La communauté scientifique du campus, citée comme caution par la SGP, s’insurge pourtant contre cette position, sans jamais être écoutée : n’a-t-on pas vendu, contre son avis et celui des élèves ingénieurs, la ferme école de Grignon, fleuron de l’agronomie française, pour la transférer dans ce cluster hors sol ? Nos futurs agronomes ne fouleront plus de leurs bottes un sol vivant et compteront incrédules les grues de chantier autour du campus. Est-il vain d’espérer une prise de position courageuse de nos décideurs et élus pour éviter une erreur irréversible, dramatique pour l’avenir de nos enfants ?