Droit de réponse
Nous avons eu en mains un document non signé, apparemment élaboré par la SGP, intitulé :
« Enjeux et dimensionnement de la ligne 18 du Grand Paris Express »
Selon les conclusions ce document, la ligne 18 serait :
A) indispensable compte-tenu de l’afflux de salariés et d’habitants à venir B) respectueuse de l’équilibre « agri-urbain » du territoire
C) vertueuse économiquement et écologiquement.
Nous considérons que ce document, se présentant comme technique et informatif, est un concentré de contre-vérités manifestes, non sourcées et assénées avec aplomb. La présentation des faits y est si confuse et biaisée qu’un lecteur peu informé sera aisément abusé.
Ceci est particulièrement dommageable, à l’heure où les citoyens vont avoir à se prononcer à nouveau sur ce projet.
Pour la pleine information de tous, nous commentons ci-dessous quelques extraits choisis de ce document.
A. La ligne 18, seule solution aux problèmes de transport sur le plateau ?
« De nouvelles études de trafic réalisées en 2020 (i) confirment que seul un mode de transport collectif lourd de type métro automatique (ii) permettra d’absorber la charge maximale à l’heure de pointe du matin (iii) »
(i) Les promoteurs de la ligne 18 sont coutumiers de ces annonces fracassantes sur de « nouvelles études » censées changer la donne à propos de la ligne 18, et à chaque fois démenties (1). Nous nous en tiendrons ici à des données publiées et vérifiables.
(ii) La capacité maximum de la ligne 18 est de 20 000 passagers/heure, pouvant être portée à 40 000 passagers/heure.
Nous examinerons de préférence les chiffres de fréquentation à l’heure, à l’exclusion des chiffres journaliers, trop imprécis, ou pire, du « nombre total de voyageurs attendus sur l’ensemble de la ligne » (sic), totalement inutilisable… Le mélange de ces différents chiffres contribue à la grande confusion du document.
(iii) Tous les modèles convergent pour montrer (2) que la fréquentation de la ligne 18 à l’horizon 2030 n’excèdera pas 6000 passagers/heure à l’heure de pointe du matin, sur son tronçon le plus chargé au départ de la gare de Massy Palaiseau en direction du campus urbain de Polytechnique-Moulon-CEA Saclay.
Ce chiffre maximum prend en compte toutes les données d’aménagement transmises par l’EPAPS, et donc la totalité des trafics dûs à « l’afflux de salariés et d’habitants engendré par les projets structurants » de Paris -Saclay. Anticiper un dépassement significatif de ces valeurs revient donc bel et bien à spéculer sur une « urbanisation future effrénée », n’en déplaise aux affirmations contraires répétées en boucle dans le document (voir Annexe).
De tels niveaux de fréquentation pourraient parfaitement relever d’un réseau de bus renforcés ou d’autres types de dessertes légères. Ces dessertes sont réalisables aux départs des nombreuses gares du RER B qui bordent le campus urbain (Massy-Palaiseau, Lozère, Le Guichet, Orsay, Bures-sur-Yvette et Gif-sur-Yvette). Une seule ligne de bus articulé en site propre tel que le 91-06 peut transporter jusqu’à 2000 passagers/heure (3), un téléphérique de milieu de gamme environ 4000 passagers/heure (4).
Contrairement à la ligne 18 qui ne leur sera d’aucun usage, de telles connections entre le RER B et le plateau permettront aussi aux habitants des vallées ou en provenance du sud de l’Essonne, (qui représentent près de 80% des trajets domicile-travail) de rejoindre le campus (5), leur évitant ainsi d’utiliser leur véhicule personnel.
On rappelle enfin que la ligne 18 réalise en boucle une connexion entre Massy et Versailles qu’assure déjà plus directement le RER C, et qu’elle a conduit à l’abandon d’un projet de bus en site propre entre Massy et Saint-Quentin en Yvelines.
B. La ligne 18, un projet respectueux de la vocation agricole du plateau de Saclay ?
« La ligne 18 est au service du développement équilibré du territoire entre urbanisation maîtrisée et préservation d’un cadre naturel et agricole unique (i) » car la « Zone de Protection Naturelle Agricole et Forestière (ZPNAF) de 4115 hectares a une valeur de protection comparable à celle d’un parc naturel régional (ii) »
(i) Dans ses conclusions de février 2020, le Secrétariat Général Pour l’Investissement (SGPI) a énoncé très clairement le caractère économiquement impérieux de l’urbanisation massive associée à la ligne 18 (6):
- « les bénéfices attendus [de la ligne 18…], qui représentent désormais plus de 70% du bénéfice présenté, ne seront au rendez-vous que si le plateau de Saclay […] offre rapidement la forte densité espérée ».
- loin de s’interroger sur l’opportunité de cette densification, ni sur sa compatibilité avec la vocation agricole du plateau, le SGPI réclame des engagements garantissant à moyen terme cette densification tout au long de son trajet.
Dans ce rapport, où il est admis que « le projet de ligne 18 entraînera une forte consommation d’espaces ruraux » (7), on cherchera en vain la moindre prise en compte de l’agriculture ou de la ZPNAF. La préoccupation majeure des experts est d’estimer avec précision les « gains urbains et d’agglomération » potentiellement induits par la ligne 18 (voir Point C).
(ii) Le PNR de la Vallée de Chevreuse est un Syndicat Mixte et les communes participantes y sont représentées en tant que telles avec droit de vote, les associations y ont une place reconnue, il y a un règlement, les délibérations et les budgets sont publiés… (8). Rien de tout cela pour la ZPNAF, dont le Comité de Pilotage comporte sur ses 20 membres, pas moins de 3 préfets, une dizaine d’établissements publics et services de l’Etat, aucun maire des communes principalement concernées et aucun représentant des agriculteurs ou du monde associatif local (9). ZPNAF ou pas, l’Etat garde entièrement la main sur l’aménagement du plateau de Saclay. La « protection » de la ZPNAF, définie par quelques lignes d’une loi modifiable à tout moment, vaudra donc ce que valent les promesses de ceux qui nous gouvernent.
C. La ligne 18, un projet économiquement et écologiquement bénéfique ?
« Les bénéfices de la ligne 18 attendus en termes économiques (i), environnementaux (ii), urbains, et pour le réseau de transports sont deux fois supérieurs à ses coûts, en faisant l’une desligneslesplusrentablesduGrandParisExpress(iii) »
(i) Lors de l’Enquête Publique de 2016, le coût estimatif de la ligne 18 était de 3,1 Mds€, son coût d’exploitation de 43 M€/an, et le bilan économique du tronçon Orsay-Versailles était négatif (10). En 2020, les coûts de la ligne 18 ont explosé de plus de 40% (respectivement 4,5 Mds€ et 63 M€), et ce dans un contexte économique beaucoup moins favorable (11). Pour défendre son projet, la SGP a donc intégré de nouveaux « gains » non conventionnels (effets dits « d’agglomération » ou « urbains »), qu’elle a estimé à plus de 8 Mds€. Ces gains résultent de l’anticipation d’activités économiques nouvelles, censément induites par… le développement urbain associé à la ligne 18. Des modélisations sophistiquées et quasi invérifiables qui sont d’ailleurs vertement critiquées par les experts du SGPI (12). La moindre des choses serait donc d’utiliser ici le conditionnel…
Le coût de la ligne 18 représente à lui seul environ la moitié du montant qui serait nécessaire sur 10 ans pour remettre en état tout le réseau RER d’Ile-de-France (13).
(ii) Sachant que la ligne 18 ne réduira pas le trafic routier sur le plateau, dû en majorité aux navettes domicile-travail à partir des communes environnantes (14), sachant que le coût carbone de construction de la ligne ne sera probablement jamais remboursé (15), sachant que sa rentabilité à venir exigera l’artificialisation d’une large part des espaces encore naturels et agricoles du plateau de Saclay, nous laissons le lecteur apprécier l’optimisme de la SGP en ce qui concerne le bilan environnemental de cette ligne.
iii) Suivez bien le raisonnement, ça vaut son pesant de stock-options chez Axa- Bouygues-Vinci : la ligne 18 sera peu fréquentée car traversant des espaces encore naturels et agricoles, et va représenter une très faible part du trafic global du Grand Paris Express. Mais elle représenterait à elle seule plus d’un quart des bénéfices économiques du réseau, car ces espaces sont promis à un avenir radieux de développement urbain (16). C’est pourquoi la ligne 18 sera certainement la plus rentable du GPE. Merci qui ?
Collectif citoyen contre la ligne 18 / Urgence Saclay
Un décryptage plus approfondi du même document par le collectif COLOS : COLOS Enjeux et dimensionnement de la ligne 18 du Grand Paris Express
Références
Télécharger le document (pdf) avec les références
Annexe
… mais pourquoi donc l’échelle verticale de ce graphe n’est-elle pas linéaire ?
NB : On retrouve aussi ce schéma dans le dossier d’enquête publique 2020, pièce H, p. 83
Peut-être parce qu’une présentation linéaire des mêmes données montrerait clairement le surdimensionnement d’un métro :
(représentation obtenue à partir d’un relevé manuel des données de la figure précédente)