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Ligne 18 Où en est-on ?

Lettre ouverte au Premier Ministre

Pour contrer la « fuite en avant consistant à démarrer un peu partout des chantiers » dans le cadre du Grand Paris, un large groupe d’experts et de citoyen·ne·s demandent aux ministres de revoir le schéma du Grand Paris Express établi en 2011. Nous y joignons notre voix en publiant cette lettre.

Pour contrer la « fuite en avant consistant à démarrer un peu partout des chantiers » dans le cadre du Grand Paris, un large groupe d’experts et de citoyen·ne·s demandent aux ministres de revoir le schéma du Grand Paris Express établi en 2011 : « Nous vous demandons instamment de décider la révision de ce schéma, en adéquation avec les contraintes financières et écologiques du temps présent et à venir ». Ils proposent un ensemble de solutions alternatives. 

Lettre initialement publiée sur le blog de Médiapart.

Lettre ouverte à Monsieur Jean Castex Premier ministre
Monsieur Bruno Le Maire Ministre de l’Économie et des Finances
Madame Barbara Pompili, Ministre de la Transition écologique

Monsieur le Premier ministre, Madame et Monsieur les ministres, 

Pour résister efficacement à la pandémie, vous avez décidé que seuls resteront ouverts les commerces de première nécessité.

Nous estimons indispensable d’adopter une démarche similaire en matière de transports publics, dont les services de première nécessité sont fournis par les réseaux existants de la mobilité du quotidien. Leur vétusté et saturation préoccupantes génèrent de plus en plus d’irrégularités, d’incidents et d’accidents. C’est tout particulièrement le cas du réseau RER francilien, qui comprend les lignes les plus fréquentées d’Europe et dont la modernisation est éminemment urgente.

Dès les débats publics fin 2010-début 2011, divers experts s’étaient exprimés de façon extrêmement critique sur ce qui allait devenir le Grand Paris Express, mais leurs avis n’ont trouvé aucun écho dans le bilan de ces débats (1). En 2013, la Direction générale du Trésor a jugé ce projet non rentable, car reposant sur des hypothèses irréalistes. En août 2015, les experts du Cercle des transports ont averti, chiffrage à l’appui, que l’État français n’aurait pas les moyens de financer à la fois la construction du Grand Paris Express et la régénération du réseau existant. Enfin, le rapport de la Cour des comptes publié en janvier 2018 (4) dresse un bilan très sévère de l’action de la Société du Grand Paris ; l’un des scénarios élaborés par la Cour prévoit une dette perpétuelle, et cela sans envisager des crises sanitaire, économique, énergétique et climatique au cours des 50 ans à venir. Dès lors, la Cour recommandait avec insistance à l’État d’« assurer la soutenabilité de long terme du financement de la SGP, en revoyant le périmètre du projet et le phasage des dépenses ». Le calendrier a été modifié, mais non le périmètre.

Or, si certaines lignes du Grand Paris Express seront sans doute utiles, les crises sanitaire et économique renforcent le doute sur d’autres composantes du réseau et incitent à saisir les opportunités pour réduire son ampleur.

  • La ligne 17 Nord traverse le Triangle de Gonesse, un territoire rural coincé entre les aéroports du Bourget et de Roissy CDG, interdit à l’habitation en raison des fortes nuisances sonores. Contrairement aux chiffres farfelus avancés ça et la, amalgamant la 17 Sud (tronc commun avec la ligne 16) et la 17 Nord, cette dernière ne desservirait aucun habitant ! Le groupe Auchan avait obtenu une déviation coûteuse de 5 km et la construction d’une gare au milieu des champs pour desservir son méga-complexe EuropaCity, projeté au centre de cet espace. Le gouvernement ayant à juste titre annulé ce projet pharaonique d’un autre temps, ainsi que l’extension du pôle de Roissy (Terminal 4), cette ligne et cette gare n’ont plus aucune raison d’être.
    Certes, les élus locaux de différents bords réclament à cor et à cri que l’État réalise un autre projet d’urbanisation à la place d’EuropaCity et maintienne la ligne 17 Nord, mais les perspectives de création d’emplois qu’ils brandissent sont plus fantaisistes les unes que les autres. Sans compter un potentiel de fréquentation très faible et une disponibilité de zones d’activités et de friches industrielles de plusieurs centaines d’ha dans un rayon de 5 km.
    On ne peut raisonnablement envisager de remplacer EuropaCity par de nouveaux grands projets inutiles dans un secteur où l’habitat est interdit.
  • La ligne 18 est un objet de prestige très coûteux desservant le cluster Paris-Saclay, une opération d’urbanisation de grande ampleur, elle aussi en décalage avec les enjeux de son époque. Les études de trafic de la DRIEA Île-de-France de juin 2020 ne confirment aucunement le besoin d’un métro : la charge à l’heure de pointe du matin ne dépasse pas 4400 passagers par heure. Ce trafic est amplement à la portée d’un système de rabattements sur le RER B, qui passe à moins de 3 km et n’est pas saturé dans ce sens de circulation.

Cela dit, c’est le tronçon Saclay-Versailles qui est le plus inutile, voire nocif. Il relierait deux bassins d’emploi – séparés par la vaste plaine agricole du plateau de Saclay –, qui n’ont quasiment rien en commun, d’où de très faibles flux de déplacements entre eux. En outre, en offrant un transport de transit, ce segment favoriserait l’étalement urbain et engendrerait une « ville dissociée » (ceux qui y travaillent habitent ailleurs et ceux qui y habitent travaillent ailleurs), ce qui empêcherait l’éclosion d’une vie locale à Paris-Saclay.

Ces deux territoires sont dotés des terres agricoles parmi les plus fertiles d’Europe. Les faire traverser par un métro serait un puissant vecteur de l’extension en tache d’huile de l’agglomération parisienne (2), à une époque où la préservation de l’agriculture périurbaine est devenue un élément majeur de l’aménagement du territoire, de la lutte contre l’artificialisation des sols et d’une meilleure souveraineté alimentaire.

Le tracé précis du Grand Paris Express a été établi en 2011 sous forme du « schéma d’ensemble », dont l’article 58 de la loi NOTRe de 2015 a défini les modalités de modification.

Nous vous demandons instamment de décider la révision de ce schéma, en adéquation avec les contraintes financières et écologiques du temps présent et à venir et de réorienter une partie des crédits en faveur du réseau actuel et des besoins des habitants.

À cet égard, il conviendrait de conduire une évaluation socio-économique impartiale du Grand Paris Express par une expertise indépendante du maître d’ouvrage, actuellement juge et partie, dont les évaluations n’ont aucunement étudié des solutions alternatives de transports en commun (3) répondant mieux aux besoins des populations locales ; nous en donnons quelques exemples en annexe de cette lettre.

En attendant, nous vous demandons avec force de stopper la fuite en avant consistant à démarrer un peu partout des chantiers, visant à créer des faits accomplis pour rendre irréversible la réalisation intégrale du réseau. 

Comptant sur votre compréhension et votre attachement à l’intérêt général des générations présentes et futures, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, Madame et Monsieur les ministres, l’expression de notre haute considération.

Notes

(1) On peut citer Gérard Lacoste, Jean-Pierre Orfeuil, Bernard Seligmann, Jean Vivier et Marc Wiel. La compilation des contributions de Jean Vivier est très instructive, cf. colos.info/images/doc/Contrib_Jean-Vivier.pdf.
(2) Le plateau de Saclay est certes doté, au titre de la loi du Grand Paris de juin 2010, d’une zone de protection naturelle, agricole et forestière, mais celle-ci ne saurait résister à la pression foncière exercée par la présence d’un métro doublé d’une autoroute urbaine (RD36 à 2×2 voies) facilitant le contournement de Paris par l’ouest (A12-RD36-RN118-A10).
(3) Conformément aux recommandations du Guide de l’évaluation socio-économique des investissements publics, édité conjointement par France Stratégie, la Direction générale du Trésor et le Secrétariat général pour l’investissement en décembre 2017,
strategie.gouv.fr/publications/guide-de-levaluation-socioeconomique-investissements-publics.

Annexe – Exemples de solutions alternatives

Voici à grands traits quelques solutions de desserte alternatives aux lignes de transit proposées par le Grand Paris Express, qui sont à la fois plus efficaces, moins onéreuses et plus rapides à réaliser.

  • Pour l’est du Val d’Oise et l’EPT Paris-Terres d’envol, pouvoir accéder avec des liaisons de rabattement légères au tram-train en tangentielle T11 Express permet un maillage en zone dense, une offre bien meilleure que celle de la ligne 17 Nord et pour un coût très inférieur (800 millions d’euros). Si cette ligne, qui ne fonctionne aujourd’hui qu’entre Épinay-sur-Seine et Le Bourget, était achevée pour relier Sartrouville à Noisy-le-Sec, ellepermettrait de desservir 620 000 habitants dont 110 000 Val d’Oisiens (avec deux gares à Argenteuil), 27 quartiers sensibles et de bénéficier de connexions avec les RER (A, B, C, D, E et H), et le tramway T8 Villetaneuse ou le Bourget / Saint-Denis-Porte de Paris. Sa longueur totale modeste (28 km) la rendrait relativement facile à gérer. Pour les communes non traversées, des moyens de transports légers de rabattement pourraient constituer un système d’offres à la fois de desserte et de transit, en alternative aux radiales surchargées des RER B et D.
  • La ligne 18 servirait à véhiculer vers Paris-Saclay des usagers en provenance de Paris et la petite couronne ; pour les habitants du nord de l’Essonne (hormis ceux de Massy), qui sont bien plus nombreux, elle ne serait d’aucune utilité. Un bien meilleur service serait rendu par un système à deux voies d’entrée parallèles, l’une avec un bus à haut niveau de service (BHNS) à partir de la gare Massy-Palaiseau du RER B, desservant principalement le quartier de Polytechnique, l’autre sous forme d’une liaison câble desservant surtout le quartier du Moulon à partir d’Orsay (gare RER B du Guichet ou d’Orsay Ville). La capacité de débit (passagers/heure/sens) est de 2000 à 3000 pour un BHNS et de 3600 à 6000 pour une liaison câble, soit un débit cumulé largement suffisant de 5600 à 9000 passagers/heure/sens. Offrant une solution aux usagers provenant des vallées de l’Yvette et de Chevreuse, ce schéma de desserte serait bien plus efficace que celui de la ligne 18 et les coûts respectifs sont sans commune mesure. Les besoins modestes de desserte à l’ouest de Saclay peuvent être satisfaits par une offre de transports légers.
  • L’infrastructure Orlyval, initialement créée pour relier le RER B au pôle d’Orly, perdra une partie de sa pertinence de connexion entre Paris et l’aéroport avec le prolongement de la ligne 14 jusqu’à Orly et le tramway T7. Cependant, elle comporte des ouvrages d’art qui enjambent de nombreux obstacles et il serait tout à fait regrettable de l’abandonner (ou de la transformer en piste cyclable), le coût de démolition étant d’ailleurs estimé à 140 millions d’euros. Il serait bien plus pertinent d’en faire un moyen de desserte locale et d’interconnexion entre les liaisons de transit radiales, intégré au système Navigo. À cette fin, il conviendrait de rajouter trois gares (Chemin d’Antony, Wissous et Rungis La Fraternelle) et de prévoir un prolongement à l’est jusqu’à Villeneuve-Saint-Georges en passant par Villeneuve-le-Roi, de manière à .interconnecter les RER B, C et D et la ligne 14. Une extension vers Massy mérite également d’être étudiée.

Signataires :

Marc Ambroise-Rendu, président d’honneur de France Nature Environnement Île-de-France
François Apicella, président de l’ASEM (Association de sauvegarde des étangs de la Minière)
Marie-Hélène Bacqué, sociologue et urbaniste, professeure à l’Université Paris-Nanterre
Cécile Blatrix, professeure en science politique à AgroParisTech
Patrick Bouchain, architecte, urbaniste, maître d’œuvre et scénographe
Dominique Bourg, expert des questions environnementales, professeur honoraire à l’Université de Lausanne
Alain Cadiou, président de l’association URB (Union Renaissance de la Bièvre)
Laurent Chalard, géographe
Gilles Clément, paysagiste, botaniste, entomologiste, biologiste et écrivain
Christian Collin, président de l’association Val-de-Marne environnement
Olivier Delourme, président de l’association Coteaux de Seine Associations,président d’honneur d’Environnement 92
Daniel Denis, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’Université de Cergy-Pontoise
Pierre Donadieu, professeur émérite de l’École nationale supérieure de paysage de Versailles, membre émérite de l’Académie d’agriculture de France
Anne Faure, urbaniste, présidente de l’association Rue de l’Avenir
Jean-Louis du Fou, président de l’association des AVB (Amis de la vallée de la Bièvre)
Gérard-François Dumont, géographe, économiste et démographe, professeur à l’Université Paris-IV
Christiane Dupart, vice-présidente de la FNAUT (Fédération nationale d’association d’usagers des transports)
Guillaume Faburel, géographe, professeur à Institut d’Urbanisme de Lyon
Jean Féret, président de l’Association de défense des usagers, des maires et des élus en colère de la ligne RER D sud
Jean Gadrey, économiste, professeur honoraire à l’Université Lille-I
Vincent Gayrard, président des Amis de la Terre Val d’Oise
François Gèze, éditeur
Catherine Giobellina, présidente de l’Union des amis du parc naturel régional de la haute vallée de Chevreuse
Cyril Girardin, pédologue, cofondateur de l’association Les Jardins de Cérès AMAP
Jacques de Givry, président de l’association AGPV (Amis du Grand Parc de Versailles)
Luc Gwiazdzinski, géographe, professeur à l’ENSA Toulouse
Thomas Lamarche, économiste, professeur à l’Université de Paris – UMR LADYSS CNRS
Serge Latouche, économiste, professeur émérite de l’Université Paris-Sud
Rémi Lavenant, président de l’association Vignette du Respect
Frédéric Léonhardt, urbaniste, vice-président de l’association nationale de lutte contre la pollution RESPIRE
Nadine Levratto, économiste, directrice de recherche au CNRS
Jacqueline Lorthiois, urbaniste socio-économiste
Bernard Loup, président du CPTG (Collectif pour le Triangle de Gonesse)
Bénédicte Madelin, professionnelle de la politique de la ville, ex-directrice de Profession Banlieue
Jonathan Magano, président de SaDur, association d’usagers du RER D
Muriel Martin-Dupray et Luc Blanchard, coprésidents de France Nature Environnement Île-de-France
Gustave Massiah, économiste, ancien enseignant à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette
Maryvonne Mateu, présidente de la FCDE (Fédération pour les circulations douces en Essonne)
Mohamed Mechmache, fondateur et président d’honneur du collectif Pas Sans Nous
Dominique Méda, philosophe, sociologue et écrivaine
Jean-Pierre Moulin, président d’Essonne Nature Environnement
Maryvonne Noël, présidente de CIRCULE,association des usagers du RER C
Jean-Pierre Orfeuil, urbaniste, expert des transports, professeur émérite de l’Institut d’urbanisme de Paris
Francine Paponnaud, juriste, présidente de l’Association des Rives de Seine
Thierry Paquot, philosophe de l’urbain
Claudine Parayre, coordinatrice du collectif Saclay Citoyen
Jean-Pierre Parisot et Paul Sergent, membres du directoire de l’UASPS (Union des associations de sauvegarde du plateau de Saclay)
Marc Pélissier, président de la FNAUT Île-de-France (Association des usagers des transports d’Île-de-France)
Doina Petrescu et Constantin Petcou, architectes, initiateurs du réseau de transition écologique citoyenne R-Urban
Dominique Picard, présidente de l’associationCARMA(Coopération pour une ambition rurale et métropolitaine d’avenir)
Christophe Piercy, président de l’Association des usagers des transports Plaine commune
Rémy Prud’homme, professeur émérite d’économie à l’Université Paris-XII, membre du Cercle des transports
Anne Querrien, sociologue et urbaniste, codirectrice de la revue Multitudes
Olivier Réchauchère, agronome, président de CAS Orsay (Citoyens actifs et solidaires)
Marie-Monique Robin, documentariste et écrivaine
Laurence Scialom,  professeure de sciences économiques  à l’Université Paris-Nanterre
Yves Sintomer, politologue, professeur en science politique à l’Université Paris-VIII
Harm Smit, coordinateur de COLOS(Collectif OIN Saclay)Stéphane Tonnelat, chargé de recherche au CNRS
Jean-Pierre Troche, architecte urbaniste, membre du groupe urbain de l’AITEC, président du Comité habitat de la Fondation de France
Jacques Vandeputte, président de l’association RER D Val de Seine
Bruno Villalba, professeur en science politique à AgroParisTech
Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Jean Vivier, ancien chef de services des étudesde la RATP et ancien conseiller scientifique de l’Union Internationale des Transports Publics