Toujours plus vite, toujours plus loin. Les politiques de transports publics, si elles laissent sur le carreau les territoires les plus pauvres, créent aussi des besoins là où ils n’existent pas. C’est le cas du tronçon ouest de la ligne 18, prévu pour relier le Christ de Saclay à Versailles, traversant au sol et sur près de 10 kilomètres des parcelles de terres agricoles exceptionnellement fertiles, mettant ainsi en péril leurs fonctionnalités et notre autonomie alimentaire.
Mais les humains ne sont pas les seuls à avoir besoin de se nourrir et de se déplacer : les animaux aussi ! Face à une analyse bâclée par la Société du Grand Paris (SGP) pour démarrer au plus vite ses travaux destructeurs, une équipe d’écologues du plateau de Saclay a publié au mois de juin un rapport accablant : « Cette analyse montre comment l’étude d’impact réalisée par la Société du Grand Paris (SGP) sous-estime largement les effets négatifs de la Ligne 18 sur les continuités et fonctionnalités écologiques », annoncent-ils en préambule.
En juin 2021, à l’occasion d’une énième enquête publique portant sur la mise au sol du métro, la SPG a fourni une étude d’impact (consultable sur le site de l’enquête, pièce G3) n’évaluant que les conséquences de cette mise au sol et non sur l’ensemble du projet d’urbanisation du plateau de Saclay. Or, lorsqu’on parle de corridors écologiques, segmenter ainsi n’est scientifiquement pas envisageable. Les chercheurs de l’Institut Diversité, Écologie et Évolution du Vivant (IDEEV) de l’Université Paris-Saclay l’écrivent noir sur blanc : « Les impacts de la Ligne 18 sur les continuités écologiques doivent être évalués à l’échelle du territoire en interaction avec les obstacles au déplacement des espèces existantes et les autres constructions récentes sur les franges sud du plateau de Saclay. L’étude d’impact de la SGP ne prend pas correctement en compte ces éléments. »
Le projet d’Opération d’Intérêt National (OIN) Paris Saclay a déjà remplacé par des constructions les deux corridors écologiques qui existaient dans la zone du Moulon, plus à l’est du plateau. Le tronçon ouest de la ligne 18 en condamnerait deux autres. Urbanisation d’un côté et métro au sol de l’autre poseraient ainsi une barrière infranchissable pour la faune, ayant donc « pour effet d’isoler de nombreuses espèces présentes dans les écosystèmes naturels et les paysages agricoles de la vallée de la Bièvre, la Forêt domaniale de Versailles et du plateau de Saclay ». Et sans brassage génétique, ces populations seraient fortement menacées.
Autre point d’importance souligné par le rapport des écologues : les terres agricoles, nourricières pour les humains, sont également des lieux d’habitation et de recherche de nourriture pour les animaux, notamment lorsqu’elles sont situées à proximité de zones humides comme sur le plateau de Saclay. Un point totalement sous-estimé par l’étude d’impact de la SGP et qui peut avoir de graves conséquences : « Le manque d’attention porté aux espèces des écosystèmes agricoles dans l’étude d’impact est alarmant, car les populations d’espèces des paysages agricoles sont celles qui déclinent le plus rapidement parmi tous les groupes d’espèces en France », alertent les chercheurs.
Certainement trop occupés à essayer de trouver, en vain, des « impacts positifs » au projet (voir p. 135 de l’étude d’impact de la SGP), les bureaux d’études ont malencontreusement « oublié » un grand nombre d’espèces pourtant observées récemment à proximité du futur tracé de la ligne 18. L’oubli le plus choquant est peut-être celui d’un oiseau très populaire, qui fait presque un mètre de haut pour deux mètres d’envergure et qui n’est ni rare ni discret : le héron cendré. Mais il manque aussi la chouette chevêche d’Athéna, une espèce quasiment menacée en Île-de-France, ou bien la linotte mélodieuse, autre espèce d’oiseau protégée et « à enjeu élevé » d’après les scientifiques, également emblème du Collectif contre la ligne 18 et l’artificialisation des terres de Saclay.
Qu’elles soient inféodées aux milieux agricoles ou qu’elles viennent des friches, forêts, zones humides et autres espaces naturels, pour s’y nourrir ou y circuler, de nombreuses espèces d’oiseaux et de mammifères utilisent donc fréquemment ces espaces agricoles et comme l’expliquent les scientifiques : « L’inclusion des espèces qui fréquentent les écosystèmes agricoles à proximité du corridor prévu pour la Ligne 18 augmenterait considérablement le niveau d’enjeux et de protection des espèces impactées par la Ligne 18 dans ce secteur. » Bruit, vibrations, pollution lumineuse… les chauves-souris souffriraient également fortement de la construction d’une ligne de métro express en plein champ et à la lisière de la forêt. Pour la faune terrestre, la SGP promet des passages à faune mais surestime largement leurs effets. Bref, rien ne va dans ce rapport d’impact de la SGP de juin 2021.
Les chercheurs et auteurs du contre-rapport ont informé la SGP de leurs résultats. Celle-ci est donc aujourd’hui parfaitement au courant de la menace forte que fait peser le projet du tronçon ouest de la ligne 18 sur les continuités et fonctionnalités écologiques. Mais la SGP laisse pourrir la situation en attendant que les oppositions se démotivent : ayant d’abord proposé une rencontre avant les congés estivaux, celle-ci a finalement été reportée à fin août. Un manque d’écoute et de prise en compte des réalités du terrain typique de la politique qu’elle mène également vis à vis des élus et des agriculteurs locaux..
Les scientifiques mentionnent que la modification du projet de tronçon ouest de la ligne 18 pourrait limiter les dégâts : « La mise en tranchée couverte de la Ligne 18, plutôt qu’au sol sur la plus grande partie possible du tronçon entre le CEA et Châteaufort contribuerait grandement à la réduction des impacts lors de l’exploitation de la ligne. ». C’est ce que demande l’association Terre&Cité qui organise une conférence de presse ce mardi 11 juillet à 14h30 en présence des chercheurs.
Le Collectif contre la ligne 18 et l’artificialisation des terres de Saclay rappelle que cette position de compromis se voulant « raisonnable » condamne à terme la vocation agricole et la biodiversité de la région, tout autant que le projet actuel. Qu’elle soit semi-enterrée ou au sol, il ressort clairement de l’étude publiée que la ligne 18 entraînerait dans tous les cas des atteintes majeures aux continuités et fonctionnalités écologiques. Par ailleurs, les aménageurs (SGP et EPAPS) eux-mêmes ont reconnu, dans leurs analyses socio-économiques, qu’une urbanisation massive du plateau de Saclay serait indispensable pour rentabiliser la gabegie financière de ce projet. Elle sera donc inéluctable si le projet de ligne 18 est mené à son terme.
Par delà leurs protestations vertueuses, les faits ne cessent de démontrer les intentions réelles des aménageurs. C’est ainsi que sont d’ores et déjà en préparation le doublement de la RD 36 et le bétonnage intégral des zones à l’est du Moulon et de Corbeville. C’est ainsi que la fameuse « ZPNAF » (Zone de Protection Naturelle Agricole et Forestière), constamment évoquée pour nous rassurer sur l’impact de la ligne 18, ne bénéficie toujours pas d’un statut ni d’une délimitation claire, et qu’elle n’est même pas prise en compte dans le projet de Schéma Directeur en cours élaboration par Valérie Pécresse et ses alliés au Conseil Régional d’Île-de-France.
Le Collectif contre la ligne 18 considère que la seule mesure efficace pour préserver les espaces agricoles et naturels du plateau de Saclay pour les générations futures est donc l’abandon pur et simple du tronçon ouest de la ligne 18.